"Afrita Hanem" critique de film
- thementontimes
- Feb 17, 2022
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Amour et humour ! Voilà donc les deux élixirs utilisés par Henry Barakat qui, ensemble, forment la potion magique d’un succès mérité. Avec dans son casting une admirable Samia Gamal au sourire aussi radieux que malicieux, ainsi qu’un Farid Al-Atrache dont la prodigiosité musicale et artistique n’est plus à prouver, l’âge d’or du cinéma égyptien est bien en marche. Aux allures hollywoodiennes, “Afrita Hanem” nous emporte avec légèreté dans le riche univers qu’est la comédie musicale. Une comédie qui, certes, est loin de divertir Asfour, l’élégant chanteur gratifié par son talent et son sens du romantisme, mais infortuné par le poids de sa place dans l’échelle sociale…
D’ailleurs, l’amour et la musique s’entremêlent divinement, comme en témoignent les nombreuses scènes où le brio de Farid al-Atrache est mis en avant. Il s’y livre à ce que nous pourrions qualifier une exaltation du sentiment amoureux, presque hyperbolique, dans toutes ses dimensions. Sa voix divine est mise en avant tout au long du film à travers des pièces musicales qu’il écrit lui-même, ce qui peut parfaitement s’apparenter au chant d’un oiseau qui prend son envol, d’où le choix non anodin du prénom “Asfour” (oiseau en arabe). Un amour passionnel, douloureux ou nostalgique… Ainsi, ce prénom, c’est aussi l’allusion, comme le montre l’une des dernières scènes du film, à un oiseau prisonnier d’une cage, d’un amour impossible... “يا حبيبي” (“ya habibi”, “ô mon amour”) est répété un nombre incalculable de fois, et est d’ailleurs le miroir de cette omniprésence. Certaines scènes possèdent même une dimension shakespearienne: l’un récitant ses paroles d'amour, l’autre l’écoutant passionnément du haut de son balcon, comme le feraient Roméo et Juliette, ou encore Cyrano de Bergerac et Roxanne !
Cependant, comme nous n’avons pas omis de le mentionner plus haut, cet amour, sous toutes ses facettes, est toujours accompagné par l’humour, comme s’ils étaient intrinsèquement liés. D’abord, c’est le scénario en lui-même qui est comique, notamment grâce à la dimension imaginaire et fantastique que Henry Barakat introduit dans son film, ce qui lui donne une grande originalité. Ainsi, l’invisible Kahramana use de ses pouvoirs magiques pour rendre la vie impossible à Asfour, par jalousie de son amour, bien que non réciproque, pour Alia. Mais ce côté humoristique est également présent à travers d’autres personnages, comme Boqo, notamment parce que nous pouvons observer que son jeu d’acteur est presque théâtral ! Parfois excessif et démesuré, nous nous attachons rapidement à sa nature presque niaise. D’autres scènes sont également très divertissantes, comme celles où Alia, en parlant à ses deux amants en même temps, fait croire à Asfour qu’elle accepte son mariage avec elle, de quoi faire tourner la tête à ce dernier… D’ailleurs, au début du film, nous pourrions même croire que la “Afrita”, la “diablesse”, c’était elle, avant que n’émerge le personnage de Kahramana.
Pourtant, nous devons nous tenir d’affirmer que parce que l’humour joue un rôle central dans le film, ce dernier est seulement au service de notre divertissement, loin de là ! En y prêtant attention, beaucoup de messages sous-jacents peuvent être interprétés. D’abord, un questionnement d’ordre philosophique est notamment incarné par le mystérieux vieil homme, synonyme de sagesse et d’expérience de vie : qu’est-ce que le vrai bonheur et en existe-t-il un? Comment l’atteindre ? La question de la valeur de l’amour est également abordée. A travers les personnages de Asfour et Mimi Bey qui représentent des idéaux complètement opposés, et Alia au centre qui joue sur deux tableaux, nous relevons la vision dichotomique entre un amour loyal et sincère d’un côté, et de l’autre un amour fallacieux motivé par une avidité d’argent. L’esquisse d’une critique matérialiste ainsi que du poids des classes sociales dans la configuration des relations peut être aperçue.
Additionnellement, il est clair que le réalisateur offre une vision du monde oriental et de la société égyptienne qui diffère grandement du cinéma colonial des décennies précédentes. Affirmons-le, il s’agit de mettre en avant les spécificités orientales, pas de les dénigrer ! Comparons seulement ce type de film à ceux du genre colonial ! D’abord, d’un point de vue du genre, on assiste à une redéfinition de la masculinité, notamment à travers Asfour, présenté comme un homme raffiné, séducteur, élégant, romantique et respectueux avec la gente féminine. L’émotion, la sensibilité et la fibre artistique sont valorisées. L’image de la femme arabe elle-même est en parfaite opposition avec celle présentée par les films occidentaux précédents. Elle est émancipée, nous la voyons par exemple jouer aux cartes avec les hommes sans difficulté. Cependant, nous pourrions nous demander s’il ne s’est pas opéré une régression des mœurs qui paraissent à cette époque plus ouvertes que celles de la société égyptienne contemporaine. Ainsi, à maintes reprises, le réalisateur ne se gêne pas à exposer des scènes de baisers, ce qui serait plus tabou aujourd’hui.
Le cinéma arabe, notamment égyptien, a su manier de manière extrêmement subtile les outils cinématographiques d’abord développés en Occident au service des sociétés arabes. Ce film en est le parfait exemple, en témoignent les effets d’optique et de transition plutôt réalistes qui accompagnent l’apparition du fantastique et de l’imaginaire. Ces outils, ce sont aussi les codes de la comédie musicale à l’hollywoodienne. Si l’on retrouve beaucoup de similitude de cette dernière à travers les danseurs, les costumes, les mises en scènes, et même certains schèmes musicaux, c’est néanmoins les spécificités de l’art arabe qui sont mises en avant, notamment avec la mise en lumière d’instruments comme le Qanûn et sa sonorité si particulière et raffinée ! Il s’agit donc réellement de s’approprier les outils les plus modernes du cinéma de l’époque à des fins revendicatives et artistiques propres au cinéma arabe, et égyptien dans ce cas plus précis. Si l’on associe cela avec la popularité des acteurs, qui comme Farid al-Atrach sont des icônes de la musique dans la vraie vie, tous les éléments sont rassemblés pour que “Afrita Hanem” soit une des pièces maîtresses du cinéma égyptien !
- Morgane Abbas
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